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Les limites qu'elle trace à la causerie sont aussi trop étroites. S'imposer, par pénitence, le sacrifice d'une parole spirituelle, quelque innocente qu'elle puisse être, c'est là une exagération janséniste qui ne devait pas rendre fort animés les salons où elle se produisait. Si beaucoup d'aimables esprits s'étaient imposé de semblables privations, que serait devenue la vieille causerie française, cette école d'urbanité, de grâce et de bon goût? En lisant ces pages de Mme Le Guerchois, il semble que l'on se trouve transporté au sein d'une rigide demeure de l'ancienne magistrature, dans quelque salon glacial où de rares visiteurs laissent de temps en temps tomber quelque parole qui ne rencontre pas d'écho. Peut-être par leur solennel ennui, ces salons contribuèrent-ils à jeter dans le tourbillon mondain plus d'un jeune homme, plus d'une jeune femme qu'une vie moins comprimée eût laissé fidèles aux vieilles traditions domestiques de la robe. Si, de même que la duchesse de Liancourt, Madeleine d'Aguesseau pense plus aux châtiments éternels qu'aux miséricordes du Seigneur, ce n'est que pour soi-même qu'elle exige la sévérité, et elle ne demande pour le prochain que la plus aimable indulgence. Pas plus que Mme de Liancourt, elle ne se plaît aux controverses religieuses qui amènent l'aigreur et non la persuasion; et tout en faisant d'une austère piété l'inspiration de la vie, elle veut que cette piété ne s'affiche pas à l'extérieur et ne se révèle que dans les actions qui la traduisent. En somme, c'est la digne fille de Henri d'Aguesseau, c'est la digne soeur du grand chancelier qui nous apparaît dans ces conseils. C'est une femme forte, c'est, dit l'éditeur de ses ouvrages, «une mère vraiment chrétienne...; une mère qui, à l'exemple de Tobie, donne des avis à son fils, pour le rendre digne d'une vie meilleure que celle-ci, et veut lui laisser pour héritage des règles de conduite, comme des biens infiniment plus précieux que tous ceux qu'il pourrait trouver dans sa succession...» Près de la duchesse de Liancourt et de Madeleine d'Aguesseau, j'aime à placer une autre mère, la spirituelle marquise de Lambert dont la vie se partage entre le XVIIe et le XVIIIe siècles. Sans doute, malgré l'élévation de sa pensée, la délicatesse de ses sentiments, son inspiration est moins haute que celle des deux mères qui viennent de nous occuper. En s'adressant à son fils, le jeune colonel de Lambert, elle le prépare plutôt à la vie du monde qu'à la vie éternelle[247], et le but qu'elle lui montre, ce n'est pas la gloire céleste, c'est la gloire humaine, mais une gloire pure, généreuse, qui, en donnant à l'homme, au soldat, un grand nom, consiste moins encore dans cette brillante renommée que dans le témoignage que sa conscience lui rendra en lui disant qu'il a fait son devoir. D'ailleurs, dans les avis qu'elle donne à son fils, aussi bien que dans les conseils non moins élevés qu'elle adresse à sa fille, elle assigne pour principe à la vie la morale évangélique. Elle trouve que, sans les vertus chrétiennes, «les vertus morales sont en danger[248].» [Note 247: Après avoir écrit ces lignes, je vois que toi était aussi l'avis de Fénelon. Voir dans les _Oeuvres_ de la marquise de Lambert la lettre de l'illustre prélat.] [Note 248: Mme de Lambert, _Avis d'une mère à son fils_. _Avis d'une mère à sa fille_.] Si les mères forment dans leurs fils des hommes d'honneur, elles préparent aussi dans leurs filles de vigilantes ménagères. Nobles dames et bourgeoises s'y appliquent également, la baronne de Chantal comme Mme du Laurens, la duchesse de Liancourt et la duchesse de Doudeauville comme Mme Acarie. Alors que je retraçais l'existence de la grande dame ménagère, je ne faisais que m'inspirer des conseils écrits que Mme de Liancourt donnait à sa petite-fille, et Mme de Doudeauville à sa fille. Cette aïeule, cette mère, n'avaient qu'à regarder en elles-mêmes pour reproduire dans leur postérité la femme forte de l'Écriture, cette femme forte qui, de même que l'homme d'honneur, trouve dans sa foi la lumière du devoir et l'énergie du bien. La duchesse de Liancourt nous a montré que, dans la mission maternelle, la grand'mère remplace la mère qui n'est plus. Dans l'ancienne France, quel type auguste que celui de l'aïeule, l'aïeule joignant à l'autorité maternelle la majesté des ans; l'aïeule qui, plus près de la tradition patriarcale, la personnifie en quelque sorte! Quelle grande figure d'aïeule que la duchesse de Richelieu, mère du cardinal! Veuve, elle a élevé ses cinq enfants, et lorsque meurt sa fille, Mme de Pontcourlay, elle recommence sa tâche auprès des enfants de la morte. En recevant sous son toit le cardinal, elle lui présente cette chère postérité que Richelieu, l'homme d'État inflexible, bénit en pleurant. Que l'aïeule est touchante alors, et sous quelle religieuse auréole elle nous apparaît, quand, le soir, dans la salle du vieux château, elle réunit ses enfants, ses petits-enfants, ses serviteurs, dans la commune prière dont elle est l'interprète vénéré![249] [Note 249: Bonneau-Avenant, _la Duchesse d'Aiguillon_.] La mère vit-elle encore, quel guide sûr elle trouve dans sa propre mère pour l'éducation de ses enfants et le soin de leur avenir! Comme cette mère l'instruit par son propre exemple! Au XVIe siècle, Mme de Laurens recommande à sa fille Jeanne de bien élever ses enfants, et de leur faire apprendre une profession. «Ayant cela et la crainte de Dieu, ils ont assez. Qu'est-ce qui manque à vos frères? Quand je fus veufve avec tant d'enfans, je n'avois après Dieu que mes voisins et amis; car de parens je n'en avois point icy.» Elle racontait à sa fille que ses amis lui conseillaient de mettre au couvent quelques-uns de ses dix enfants pour assurer un sort plus favorable aux autres. Mais la pieuse femme ne voulut pas de vocations forcées. C'eût été acheter trop cher son repos. Elle demanda à Dieu la force de suffire à sa tâche et se mit vaillamment à l'oeuvre. Dans sa pauvreté elle trouva moyen de faire instruire ses huit fils et de leur faire subir les épreuves du doctorat. Sa fille nous apprend à quel prix: «Vous me direz: Comment est-ce qu'elle pouvoit faire estudier et passer docteurs ses enfans, nostre père ayant laissé si peu de rentes? Je responds qu'il avoit acquis et laissé quelques pièces (de terre) dont ma mère se secouroit. Car, quand elle vouloit faire passer docteur quelqu'un de ses enfans, ou le faire estudier, elle vendoit l'une de ces pièces, en mettoit l'argent dans une bourse, et de cela les faisoit apprendre ou graduer, sans rien emprunter[250].» [Note 250: Manuscrit de Jeanne du Laurens, publié par M. de Ribbe: _Une Famille au XVIe siècle_.] Dieu bénit cette mère dans ses sacrifices, dans ses sollicitudes. Elle maria honorablement ses deux filles. Ses huit fils, tous reçus docteurs, donnèrent à cette humble maison bourgeoise deux archevêques, un provincial des capucins, un avocat général qui illustra le Parlement de Provence, un avocat de mérite, trois médecins dont l'un, attitré auprès de Henri IV, acquit de la célébrité. Telle fut la couronne de cette mère. La mère de famille a le dévouement, l'activité féconde, la foi agissante qui font d'elle une admirable éducatrice; mais dans ce siècle où, suivant la remarque que nous avons déjà faite, les principes romains régnent dans la famille, l'affection maternelle est souvent sévère, et la force du caractère, la grandeur morale, l'autorité imposante prédominent sur la tendresse. Mais cette tendresse, pour être contenue, n'en est pas moins profonde, et comme parfois elle s'épanche! Quelles larmes répand la mère de Bayard au moment où elle va donner ses derniers conseils à son fils qui s'éloigne du foyer! Quel amour maternel, quel abandon plein de charme dans les lettres que Mme de Sévigné écrit à sa fille absente! Et lorsqu'une mère a devant elle, non plus une séparation momentanée, mais l'éternelle séparation d'ici-bas, que d'amertume dans la douleur de survivre à son enfant! Mme du Plessis-Mornay, la mère austère et ferme, ne peut longtemps proférer une parole lorsque son mari lui annonce que leur fils a été tué. Elle s'est résignée à la volonté de Dieu; mais, dit-elle, «le surplus se peut mieux exprimer à toute personne qui a sentiment par un silence. Nous sentismes arracher noz entrailles, retrancher noz espérances, tarir noz desseins et noz désirs. Nous ne trouvions un long temps que dire l'un à l'autre, que penser en nous mesmes, parce qu'il estoit seul, après Dieu, nostre pensée; toutes nos lignes partoient de ce centre et s'y rencontroient. Et nous voyions qu'en luy Dieu nous arrachoit tout, sans doute pour nous arracher ensemble du monde, pour ne tenir plus à rien, à quelque heure qu'il nous appelle...[251]» [Note 251: _Mémoires_ de Mme du Plessis-Mornay.] Et quand Mme de Longueville, convertie, apprend dans sa retraite religieuse la mort de son fils tué au passage du Rhin, comme le désespoir de la mère fait explosion dans ce coeur que la pénitence a déjà broyé! Mme de Sévigné nous a dépeint cette scène navrante; et ici la spirituelle marquise n'a plus qu'un coeur de mère pour faire vibrer l'écho d'un inénarrable désespoir. «Tout ce que la plus vive douleur peut faire, et par des convulsions, et par des évanouissements, et par un silence mortel, et par des cris étouffés, et par des larmes amères, et par des élans vers le ciel, et par des plaintes tendres et pitoyables, elle a tout éprouvé... Pour moi, je lui souhaite la mort, ne comprenant pas qu'elle puisse vivre après une telle perte[252].» [Note 252: Mme de Sévigné à Mme de Grignan, 20 juin 1672.] Gabrielle de Bourbon, dame de la Tremouille, avait succombé à semblable douleur. Son mari, son fils, avaient accompagné François Ier dans son expédition d'Italie. Le jeune prince fut l'une des glorieuses victimes de la bataille de Marignan. C'est dans un cercueil qu'il rentra au château de ses pères. Quelle scène que celle où l'évêque de Poitiers annonce à la pauvre mère la mort de son enfant et l'arrivée du funèbre cortège! En vain le prélat fera-t-il appel aux sentiments héroïques, à la foi ardente de Gabrielle de Bourbon, la mère ne pourra supporter la terrible nouvelle. 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