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Plus absorbée que l'homme par les affections du foyer, ces affections, en devenant exclusives, l'aveuglent facilement, et elle leur sacrifie d'instinct les intérêts du pays. Si elle paraît favoriser ceux-ci, c'est qu'ils se seront accordés avec ses sentiments personnels. D'ailleurs, et nous l'en félicitons, elle est rarement douée des facultés de l'homme d'État. Ce n'est pas pour cette mission que la Providence l'a créée. Sans doute, lorsqu'une sage et forte éducation l'a habituée à faire dominer en elle la voix de la conscience, elle peut, nous le redirons plus tard avec M. de Tocqueville, inspirer utilement à son foyer l'homme d'État, non en lui conseillant des combinaisons politiques, mais en le fortifiant dans le culte du devoir. Touche-t-elle directement aux affaires publiques, elle risque de remplacer par l'esprit d'intrigue les qualités politiques qui lui manquent. Donc, la passion personnelle pour guide, l'intrigue pour moyen, c'est le caractère dominant de l'influence politique exercée par la femme. On en vit quelques exemples au moyen âge, mais ils devinrent fréquents dès ce XVIe siècle où s'affaiblissent les principes élevés auxquels avaient obéi des princesses chrétiennes; ce XVIe siècle qui, en faisant naître la cour de France, fortifiera l'esprit d'intrigue. Dans la période intermédiaire qui suit le moyen âge et qui précède la Renaissance, nous retrouverons encore cependant une imitatrice de Jeanne d'Arc, Jeanne Hachette; une héritière de Blanche de Castille, Anne de France, dame de Beaujeu. C'est à l'heure du péril national que Jeanne Hachette et ses vaillantes compagnes s'arrachent à l'ombre du foyer pour défendre leur ville menacée. Comme Jeanne d'Arc, elles ne séparent pas du patriotisme la foi qui le vivifie. Quand, pour repousser Charles le Téméraire, elles marchent au rempart, elles ont pour enseigne la châsse de sainte Angadresme, patronne de leur ville. Les unes apportent des munitions aux défenseurs du rempart; d'autres font pleuvoir sur les ennemis des flots bouillants d'huile et d'eau, ou les écrasent sous les grosses pierres qu'elles font rouler sur leurs têtes. Les assaillants ont commencé à gravir le rempart; un porte-étendard plante déjà la bannière de Bourgogne sur la muraille; il la tient encore, mais Jeanne Hachette la lui arrache. L'ennemi fut repoussé. Parmi les récompenses que Louis XI donne aux habitants de Beauvais, de nobles privilèges sont accordés aux femmes. Le roi les dispense des lois somptuaires. Elles ont le pas sur les hommes à la procession annuelle que Louis XI institue en l'honneur de sainte Angadresme; elles forment comme une garde d'honneur autour de la châsse qui a été leur force et leur point de ralliement pour sauver leur cité. J'ai nommé, dans Anne de France, une héritière des grandes pensées de Blanche de Castille. Tutrice de son frère Charles VIII, elle accomplit, comme soeur, une mission politique analogue à celle que Blanche avait remplie comme mère. Ainsi que la souveraine du XIIIe siècle, elle poursuit avec une prudente fermeté l'oeuvre de l'unité française. Elle a les qualités politiques de Louis XI sans en avoir la cruauté; et, par sa générosité, par sa munificence, elle rend au pouvoir royal l'éclat que lui avait enlevé la mesquinerie de son père[381]. [Note 381: Brantôme, _Premier livre des Dames_. Anne de France.] Cette jeune femme de vingt-deux ans avait, dit un historien, «la ténacité, la dissimulation et la volonté de fer du feu roi; aussi disait-il d'elle, avec sa causticité accoutumée, que c'était «la moins folle femme du monde, car, de femme sage, il n'y en a point.» «Elle prouva qu'il y en avait une; car elle poursuivit, avec une sagacité et une énergie admirables, tout ce qu'il y avait eu de national dans les plans de Louis XI.» «Elle eût été digne du trône par sa prudence et son courage, si la nature ne lui eût refusé le sexe auquel est dévolu l'empire.» «Ce jugement d'un contemporain est celui de la postérité[382].» [Note 382: Henri Martin, _Histoire de France_, tome VII.] Anne de France mérite cet hommage comme tutrice de Charles VIII, mais nous verrons un peu plus tard que la belle-mère du connétable de Bourbon n'en sera plus digne. Quel que soit le génie politique dont la nature ait exceptionnellement doué une femme, quelle que soit la force d'âme avec laquelle elle se possède, il est bien rare qu'à certain moment la passion ne vienne obscurcir en elle la notion du sens patriotique. Mais nous ne sommes pas encore arrivés à cette dernière apparition de madame de Beaujeu dans l'histoire. Aux États généraux qu'Anne de France consent à réunir, les paysans libres sont appelés pour la première fois; et, tout en fortifiant le Tiers-État, la princesse continue à défendre le pouvoir royal contre les envahissements de la féodalité. Elle résiste victorieusement à la nouvelle ligue du Bien public que dirige contre elle le duc d'Orléans. Comme nous venons de le rappeler, l'unité de la France la compte, elle aussi, parmi ses fondateurs. Cette unité lui doit encore une force considérable: la réunion de la Bretagne à la France, «le plus grand acte qui restât encore à accomplir pour la victoire définitive et la constitution territoriale de la nationalité française[383].» [Note 383: Guizot, _Histoire de France_, tome II.] Anne prépare peu à peu son frère à prendre le pouvoir, et quand ce moment est venu, elle se retire; elle se livre, dans sa retraite, à ses devoirs domestiques. Elle ne garde plus que le droit de conseiller discrètement son frère. Si Charles VIII l'avait écoutée, il n'aurait pas entraîné la France dans ces guerres d'Italie qui furent si préjudiciables au pays. Pourquoi faut-il qu'Anne de France ait terni, sa pure gloire quand, à ses derniers moments, les injustices dont François Ier accablait le mari de sa fille, le connétable de Bourbon, lui firent perdre le sentiment français, et qu'elle recommanda à son gendre de s'allier à la maison d'Autriche! Tout viril que fût son caractère, elle était demeurée femme pour subordonner aux intérêts de sa maison son influence politique. Soeur et tutrice de Charles VIII, elle sert la France. Belle-mère du connétable de Bourbon, elle la trahit. Mais n'oublions pas que ce fut à l'heure des défaillances de la mort. N'oublions pas non plus que lorsqu'elle était au pouvoir, elle suivit une politique vraiment nationale, quelle qu'en fût l'inspiration: Si l'on excepte Anne d'Autriche, elle est la seule qui ait droit à cet éloge entre toutes les princesses qui, depuis le xve siècle, ont exercé une influence sur les destinées de notre pays. C'est qu'elle était la seule aussi qui fût fille de France. L'une des causes qui, en effet, rendirent le plus désastreuse l'intervention politique des reines, c'est que, nées dans des cours étrangères, elles apportaient généralement sur le trône de France l'amour de leur pays natal. Une contemporaine de Madame de Beaujeu en donna le triste exemple. C'est en mariant Charles VIII à l'héritière de la Bretagne qu'Anne de France avait réuni cette belle province à notre patrie; et peu s'en fallut que la reine, Bretonne avant d'être Française, n'enlevât à notre pays le don qu'elle lui avait apporté. A peine Charles VIII est-il mort, qu'Anne de Bretagne se retire dans son duché. Cependant un traité l'oblige à ne se remarier qu'à un roi de France ou à l'héritier présomptif de celui-ci. Louis XII lui demande sa main, et elle la lui accorde. Mais le roi lui abandonne la jouissance de son bien et de son duché, et toujours la duchesse de Bretagne l'emporte sur la reine de France[384]. [Note 384: Voir les histoires de France de MM. Henri Martin, Trognon.] De son mariage avec Louis XII, Anne de Bretagne n'a que deux filles. La seconde, Claude de Francs, héritière du duché de Bretagne, doit épouser l'héritier du trône, François d'Angoulême. Mais la reine déteste Louise de Savoie, mère de ce prince, et plutôt que de voir passer la Bretagne entre les mains du fils de son ennemie, elle presse Louis XII de fiancer la princesse Claude à Charles d'Autriche, le futur Charles-Quint: mariage désastreux qui démembrait la France. Le comté de Blois, le Milanais, Gênes, Asti, furent joints plus tard à la dot de la fiancée; et si le roi mourait sans héritier mâle, le duché de Bourgogne devait passer, avec la princesse Claude, à la maison d'Autriche! Voilà ce qu'Anne de Bretagne avait arraché à l'âme si française de Louis XII! Mais à quel prix! Les regrets, les remords accablent le roi. Il tombe malade. Le cardinal d'Amboise, les autres conseillers du prince, lui rappellent ses devoirs de roi. Alors Anne ne résiste plus. Louis XII stipule dans son testament que lorsque sa fille Claude sera en âge d'être mariée, elle épousera François-d'Angoulême. Mais tant que la reine vécut, ce mariage n'eut pas lieu. Une précédente maladie de Louis XII avait fait prévoir à la reine un second veuvage. Sa première pensée fut de se retirer en Bretagne après la mort du roi et d'y emmener sa fille Claude pour la soustraire aux partisans de François d'Angoulême. Elle se hâta d'envoyer ses bagages à Nantes par la Loire. Le gouverneur de François d'Angoulême, le maréchal de Gié, les fit saisir entre Saumur et Nantes. Le roi se rétablit, et la reine, qui gardait sur lui son influence, se souvint de l'injure du maréchal. Il ne lui suffit pas de le faire chasser de la cour. Elle veut le déshonorer. Elle suscite contre lui des témoins qui l'accusent de concussion et d'autres crimes encore. Ce n'est pas la mort du maréchal qu'elle poursuit. Non, la mort serait pour lui la délivrance, et ce que la reine lui prépare, c'est la lente agonie du vieillard qui a été heureux, justement honoré et qui, dépouillé de ses emplois, traînera une existence misérable: «la mort ne luy dureroit qu'un jour, voire qu'une heure, et ses langueurs qu'il auroit le feroient mourir tous les jours. «Voylà la vengeance de ceste brave reyne,» ajoute Brantôme[385]. [Note 385: Brantôme, _l.c._] Anne de Bretagne était-elle donc un monstre? Non, dans sa vie privée, elle était généreuse, charitable. Elle aimait ses serviteurs et faisait du bien à ceux du roi. 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