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Mirabeau, qui jetait si volontiers les femmes à la tête de l'insurrection, les hommes de la Terreur qui les employaient au service de leurs passions cruelles, ne voulaient la Révolution que dans l'État et non dans la famille. La République se bornait donc à décerner des honneurs aux femmes qui la servaient; mais, bien loin de leur accorder des droits politiques, elle leur en enlevait un qu'elles tenaient de la monarchie, et leur retirait ceux qu'elle leur avait elle-même octroyés: le 22 mars 1791, l'Assemblée nationale excluait les femmes de la régence; la loi du 20 mai 1793 les bannit des tribunes de la Convention jusqu'à ce que l'ordre fût rétabli, et la loi du 26 mai leur interdit l'assistance à toute assemblée politique. Enfin lorsque, après la chute des Girondins, les Jacobins n'eurent plus besoin des tricoteuses, la Convention s'inquiéta des scandales et des émeutes causés par le club de Rose Lacombe; elle jugea que les femmes étaient incapables d'exercer des droits politiques; qu'elles étaient «disposées, par leur organisation, à une exaltation qui serait funeste à la chose publique, et que les intérêts de l'État seraient bientôt sacrifiés à tout ce que la vivacité des passions peut produire d'égarements et de désordres[478].» [Note 478: Convention nationale, séance du 9 de brumaire. _Moniteur universel_, 1793.] Le 9 brumaire 1793, un décret de la Convention ferma donc les clubs de femmes. Les citoyennes réclamèrent devant l'Assemblée qui les hua. Mais le 27 brumaire, Rose Lacombe jette dans la salle où siège le conseil général de la Commune son armée de femmes coiffées du bonnet rouge. Des protestations s'élèvent du sein de l'assemblée. Alors le même homme qui, naguère, a enjoint aux femmes de tricoter au milieu des honneurs publics qu'elles revendiquaient, le procureur général Chaumette se lève et s'écrie: «Je requiers mention civique au procès-verbal, des murmures qui viennent d'éclater. C'est un hommage aux moeurs, c'est un affermissement de la République! Eh quoi! des êtres dégradés qui veulent franchir et violer les lois de la nature, entreront dans les lieux commis à la garde des citoyens, et cette sentinelle vigilante ne ferait pas son devoir! Citoyens, vous faites ici un grand acte de raison; l'enceinte où délibèrent les magistrats du peuple doit être interdite à tout individu qui outrage la nature!... Et depuis quand est-il permis aux femmes d'abjurer leur sexe, de se faire hommes? Depuis quand est-il d'usage de voir des femmes abandonner les soins pieux de leur ménage, le berceau de leurs enfants, pour venir, sur la place publique, dans la tribune aux harangues, à la barre du Sénat, dans les rangs de nos armées, remplir les devoirs que la nature a répartis à l'homme seul? A qui donc cette mère commune a-t-elle confié les soins domestiques? Est-ce à nous? Nous a-t-elle donné des mamelles pour allaiter nos enfants? A-t-elle assez assoupli nos muscles pour nous rendre propres aux soins de la hutte, de la cabane et du ménage? Non, elle a dit à l'homme: sois homme! les courses, la chasse, le labourage, les soins politiques, les fatigues de toute espèce, voilà ton apanage. Elle a dit à la femme: sois femme! les soins dus à l'enfance, les détails du ménage, les douces inquiétudes de la maternité, voilà tes travaux; mais tes occupations assidues méritent une récompense; eh bien, tu l'auras; et tu seras la divinité du sanctuaire domestique; tu régneras sur tout ce qui t'entoure par le charme invincible de la beauté, des grâces et de la vertu. Femmes imprudentes, qui voulez devenir des hommes, n'êtes-vous pas assez bien partagées? Que vous faut-il de plus?... Le législateur, le magistrat sont à vos pieds; votre despotisme est le seul que nos forces ne puissent abattre, puisqu'il est celui de l'amour, et, par conséquent, celui de la nature. Au nom de cette même nature, restez ce que vous êtes; et, loin de nous envier les périls d'une vie orageuse, contentez-vous de nous les faire oublier au sein de nos familles, en reposant nos yeux sur le spectacle enchanteur de nos enfants heureux par vos soins!» Ces mégères, ces _flagelleuses_, perdent leur assurance effrontée. Elles retirent leurs bonnets rouges et les cachent. Le terrible procureur général remarque ce mouvement: «Ah! je le vois, dit-il, vous ne voulez point imiter ces femmes hardies qui ne rougissent plus...» Il leur dit quelle néfaste influence politique ont exercée les femmes. Il leur parle avec dédain d'une Olympe de Gouges, une «virago,» une «femme-homme.» «Nous voulons, ajoute-t-il, que les femmes soient respectées, c'est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes. Que diraient des magistrats à une femme qui se plaindrait des atteintes d'un jeune étourdi, lorsqu'il alléguerait pour sa défense: J'ai vu une femme avec les allures d'un homme; je n'ai plus en elle respecté son sexe, j'en ai agi librement?...» «Autant nous vénérons la mère de famille qui met son bonheur à élever, à soigner ses enfants, à filer les habits de son mari et à alléger ses fatigues par l'accomplissement de ses devoirs domestiques, autant nous devons mépriser, conspuer la femme sans vergogne qui endosse la tunique virile, et fait le dégoûtant échange des charmes que lui donne la nature contre une pique et un bonnet rouge.» On ne pouvait mieux dire. Mais ce n'était pas aux hommes de la Terreur qu'il appartenait de flétrir les excès qu'ils avaient encouragés et qui leur avaient été si utiles. Quoi qu'il en fût, le conseil général de la Commune adopta cette motion de Chaumette: «Je requiers que le Conseil ne reçoive plus de députations de femmes qu'après un arrêté pris, à cet effet, sans préjudice aux droits qu'ont les citoyennes d'apporter aux magistrats leurs demandes et leurs plaintes individuelles[479].» [Note 479: Le discours de Chaumette est reproduit en grande partie dans le _Moniteur universel_, 1793. Commune de Paris. Conseil général. Du 27 de brumaire. Je l'ai cherché _in extenso_ dans les _Procès-verbaux de la Commune_. Mais la collection de la Bibliothèque nationale s'arrêtant à 1790, j'ai recouru au texte cité par M. Lairtullier.] Les clubs de femmes étaient morts. Ils devaient revivre. Les mégères elles-mêmes devaient reparaître mêlées à cette écume que font surgir toutes les révolutions. 1848 les a vues couper les têtes des gardes mobiles. En 1871, leurs sinistres et fauves figures nous sont apparues à la lueur des incendies allumés par ces infernales créatures: les pétroleuses. Le mouvement révolutionnaire, qui jette jusqu'aux femmes dans les luttes de la rue, a chaque fois aussi fait bouillonner dans leurs cerveaux l'idée de l'émancipation politique. Malgré le mauvais accueil que les révolutionnaires de 1789 et de 1793 avaient fait à cette émancipation, chaque fois que la République s'est établie en France, les mêmes, revendications se sont produites, et, comme. 1848, 1870 a ramené les doléances de quelques femmes et les plaidoyers plus ou moins intéressés de leurs défenseurs. Avant 1848 cependant, les saint-simoniens avaient prêché l'égalité des deux sexes, l'admissibilité de la femme à toutes les fonctions publiques. Pour défendre l'émancipation, les avocats de cette cause n'ont guère fait que reproduire les arguments de leurs devanciers. De même que Condorcet en 1790, ils prétendent que la femme possède les mêmes droits naturels que l'homme, et qu'elle est capable de les exercer. Partant de ce principe que les deux sexes sont égaux moralement, voire même physiquement, les émancipateurs des femmes réclament pour elles, outre l'égalité des droits civils, l'égalité des droits politiques et le libre accès à toutes les fonctions publiques. Nous parlerons tout à l'heure de l'émancipation civile. Bornons-nous maintenant à la question des droits de la femme dans l'État. Tout d'abord, j'avoue humblement que je ne crois pas que l'homme et la femme aient les mêmes droits naturels. La femme, ayant d'autres devoirs à remplir que ceux de l'homme, a aussi d'autres droits. Quant aux capacités politiques de la femme, je crois avoir suffisamment démontré qu'elles ne valent assurément pas ses qualités morales. Dans l'histoire, de notre pays comme dans les annales de l'antiquité, nous avons pu constater que le passage de la femme dans la vie politique d'un peuple, a été le plus souvent désastreux. L'histoire légendaire d'Hérodote nous parle bien d'une sage et habile reine de Carie, Artémise, qui fut aussi prudente dans le conseil que vaillante dans le combat; mais, pour une Artémise, que d'Athalie, d'Olympias, de Livie, d'Agrippine! Quand ces femmes antiques possédaient le pouvoir, c'était pour elles le moyen de faire triompher leurs passions ou leurs ambitions effrénées. Dans notre France chrétienne, ce n'est guère que par la foi patriotique et religieuse, par la charité sociale, que les femmes ont eu une influence heureuse sur les destinées de notre pays. Mais ont-elles exercé le pouvoir politique, cela n'a été que bien rarement pour le bonheur de la France. En présence de grandes exceptions, telles que sainte Bathilde, Blanche de Castille, Anne de Beaujeu, voici Frédégonde, voici Brunehaut dans la seconde partie de sa vie; voici Catherine de Médicis, Marie de Médicis. Voici encore les femmes politiques de la Révolution, c'est-à-dire, toujours et partout, le sentiment personnel substitué à l'idée du droit. On me répondra peut-être que pour sacrifier la justice à la passion, il n'est pas nécessaire d'être femme, et que plus d'un roi, plus d'un homme politique, n'a vu dans le pouvoir que l'instrument de son bon plaisir. Oui, sans doute; mais pour les hommes mêmes qui se sont laissé entraîner par la passion, il est rare qu'ils n'aient pas conservé à travers leurs défaillances une idée gouvernementale, bonne ou mauvaise, mais enfin une idée. Chez la femme politique, au contraire, la sensation a remplacé l'idée. On me dira encore que par une éducation virile, on changera tout cela. Soit. Il restera toujours à la femme la faiblesse physique, et bien qu'on nous objecte qu'il y a des femmes beaucoup plus fortes que certains hommes, je répondrai que ce n'est là que l'exception, et que, dans l'état normal, l'homme a reçu en partage la vigueur, et la femme, la délicatesse. En 1791, la célèbre Olympe de Gouges disait dans sa _Déclaration des droits de la femme:_ «La femme a le droit de monter à l'échafaud; elle doit avoir également celui de monter à la tribune.» Qu'eût répondu Mme de Gouges si on lui eût opposé ceci: La femme a le droit d'être atteinte par les obus; elle doit avoir également celui d'être? 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