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La chambre a été vide toute la journée; personne n'a vaqué aux soins les plus élémentaires de la propreté; le foyer est mort; la mère épuisée n'a pas la force de préparer des aliments; tous les vêtements tombent en lambeaux: voilà la famille telle que les manufactures nous l'ont faite. Il ne faut pas trop s'étonner si le père, au sortir de l'atelier où sa fatigue est quelquefois extrême, rentre avec dégoût dans cette chambre étroite, malpropre, privée d'air, où l'attendent un repas mal préparé, des enfants à demi sauvages, une femme qui lui est devenue presque étrangère, puisqu'elle n'habite plus la maison et n'y rentre que pour prendre à la hâte un peu de repos entre deux journées de travail. S'il cède aux séductions du cabaret, les profits s'y engouffrent, sa santé s'y détruit; et le résultat produit est celui-ci, qu'on croirait à peine possible: le paupérisme, au milieu d'une industrie qui prospère[483].» [Note 483: Jules Simon, _l'Ouvrière_.] M. Jules Simon juge que l'élévation des salaires pour les hommes, la création de cités ouvrières, la moralisalion du peuple permettraient de supprimer le travail des femmes dans les manufactures. Ce serait un grand progrès, mais dont la réalisation semble malaisée au réformateur lui-même. Les cercles catholiques d'ouvriers ont mis récemment cette question à l'étude[484]. [Note 484: Voir le discours de M. le comte Albert de Mun à la, séance de clôture de la dernière assemblée générale. _Bulletin de Association catholique_, 15 mai 1882.] La transformation qui s'est opérée dans l'industrie a multiplié une autre classe de femmes qui ne peuvent rester chez elles: ce sont les employées de commerce. Les grandes maisons de nouveautés viennent se substituer à une foule de boutiques que les femmes tenaient sans quitter leur foyer. Ces vastes établissements occupent un grand nombre de femmes. Mais ce sont généralement de jeunes filles qui peuvent plus aisément que la mère de famille chercher le pain quotidien hors de la maison. Sans doute, il vaudrait mieux que la jeune fille pût rester à ce foyer paternel où s'abrite si naturellement son innocence. Mais c'est un rêve irréalisable. Il est évident que la femme seule peut et doit vendre ce qui se rattache à l'habillement de la femme. Il est ridicule de voir des hommes remplir cet emploi, et le ridicule touche à l'immoralité quand il s'agit de vêtements qu'il faut faire essayer[485]. Tout en déplorant donc que les conditions actuelles du commerce arrachent tant de femmes au foyer domestique, nous ne pouvons que souhaiter ici qu'elles occupent dans les magasins une place plus considérable, pourvu toutefois que ces établissements, réservant aux mères de famille les travaux qu'elles peuvent faire chez elles, emploient au service de la vente les femmes qu'un devoir maternel ne fixe pas à la maison. Mais avec quelle prudence les chefs de ces maisons ne doivent-ils pas veiller sur les jeunes filles et les jeunes femmes qui se trouvent en contact journalier avec les commis de magasins, avec les acheteurs! [Note 485: Cette remarque s'applique, non-seulement aux commis de magasin, mais aux _couturiers_, qui, de plus, enlèvent à la femme un des rares états qui peuvent l'occuper chez elle.--Au XVIIIe siècle, on se plaignait déjà de voir les hommes empiéter sur le «droit naturel» qu'ont les femmes «à toute la parure de la femme.» Voir Beaumarchais, _le Mariage de Figaro_, acte III, scène XVI.] L'ouvrière, l'employée de commerce ne sont pas les seules femmes qui aient à chercher au dehors le pain quotidien. Que de femmes, que de mères courent le cachet du malin au soir! Il est vrai que la femme professeur reste dans cette mission éducatrice qui est avant tout maternelle. Il est vrai aussi qu'elle est moins exposée que l'ouvrière et l'employée de magasin à des contacts corrupteurs, et encore n'en est-elle pas toujours préservée. Mais il n'en est pas moins vrai non plus que si elle est mariée, le ménage souffre de son absence et que ses enfants sont abandonnés à une garde étrangère. Comment remédier à de telles situations? C'est bien difficile. En admettant même que l'élévation des salaires et des petits traitements permette à la femme de l'ouvrier ou de l'employé de rester chez elle, il y a toujours un grand nombre de filles et de veuves qui ne peuvent subsister que par elles-mêmes. Si la veuve n'a pas d'enfants qui réclament ses soins, elle est, ici encore comme la jeune fille, plus libre de vaquer aux occupations extérieures. Mais dans le cas contraire, quelle situation plus pénible que celle qui la contraint à abandonner chaque jour ses enfants, afin de leur procurer la nourriture qu'elle est seule maintenant à leur pouvoir donner! Ainsi fait la mère du petit oiseau; mais dans le nid où elle le laisse, celui-ci court moins de dangers que l'enfant dont l'âme, aussi bien que le corps, est soustraite à la vigilance maternelle. La question du travail des femmes est bien complexe, on le voit. Ce qui semble nécessaire avant tout, c'est de multiplier pour la femme le nombre des professions sédentaires. Les mille variétés de travaux à l'aiguille, si mal rétribués et dont il faudrait augmenter le salaire, les arts professionnels, permettent à la femme de concilier ses devoirs domestiques avec le besoin de gagner sa vie. Cette faculté existe aussi pour la maîtresse de pension, pour la directrice de cours, pour toute femme professeur qui reçoit ses élèves chez elle. Et à ce sujet, qu'il nous soit permis de regretter que les cours publics d'enseignement secondaire aient fait à l'enseignement libre une concurrence qui le paralyse, et qui enlève ainsi à la femme l'une des rares professions qu'elle pouvait exercer à son foyer. Autrefois, un brevet d'enseignement était pour elle une ressource. L'usage de faire passer des examens aux jeunes filles est devenu général; mais en même temps que ce brevet, instrument de travail pour beaucoup, était répandu à profusion, la création des cours publics d'enseignement rendait souvent cet outil improductif. Si la femme a perdu sur le terrain de l'enseignement libre, il faut reconnaître que d'autres professions sédentaires lui ont été largement ouvertes: les bureaux de poste, de télégraphie, de timbre et de tabacs comptent nombre de femmes parmi leurs titulaires. Les femmes remplissent encore d'autres fonctions publiques; malheureusement elles ne peuvent s'en acquitter à leur foyer. Ce sont les fonctions d'inspectrices. Les écoles et les pensionnats de filles, les établissements pénitentiaires de jeunes détenues, les écoles de réforme, ne peuvent cependant être inspectés que par des femmes. Mais si restreint est le nombre des inspectrices que bien peu de femmes sont exposées à sacrifier à cette mission leurs sollicitudes domestiques. En général, ces fonctions me paraissent surtout devoir être exercées par des femmes non mariées et encore par des femmes mariées qui n'ont pas d'enfants ou qui n'ont plus à veiller sur leur éducation. Voici que nous abordons une question bien délicate. La femme peut-elle être médecin? Certes la pudeur exigerait que dans leurs maladies les femmes fussent soignées par une de leurs soeurs. Mais la femme médecin ne sera-t-elle pas dominée par l'impressionnabilité nerveuse? Aura-t-elle cette sûreté de coup d'oeil d'où dépend souvent la vie de celui qui souffre? La femme est une admirable garde-malade alors qu'il ne s'agit pour elle que d'exécuter les ordonnances du médecin; mais saura-t-elle toujours les prescrire elle-même? J'admets cependant qu'elle se maîtrise assez pour dompter ses impressions et pour bien diagnostiquer d'une maladie. Je veux bien que sa carrière soit sans danger pour la vie physique de ses malades. Mais cette carrière sera-t-elle sans danger pour sa propre vie morale? Sur les bancs de l'école ou dans l'amphithéâtre, n'aura-t-elle rien à craindre du contact des étudiants? Je suppose enfin que, par une faveur spéciale de la Providence, sa vertu sorte triomphante de cette épreuve. La jeune fille est reçue docteur en médecine. Elle se marie, elle devient mère. Désertera-t-elle le berceau de ses enfants pour répondre, jour et nuit, à l'appel des malades qui la demandent? Mais son premier devoir est de veiller sur ses enfants. Oui, je désirerais qu'il y eût, parmi les femmes, des médecins comme il y a des soeurs de charité. Mais alors, comme les soeurs de charité, qu'elles soient formées par un institut spécial, qu'elles ne se marient pas, et que, sans blesser les lois de la famille, elles se dévouent à l'humanité souffrante! § III _Quelle est la part de la femme dans les oeuvres de l'intelligence, et dans quelle mesure la femme peut-elle s'adonner aux lettres et aux arts?_ J'ai nommé les arts professionnels parmi les travaux qui peuvent occuper la femme à son foyer. L'art lui-même, l'art dans son expression la plus élevée, se conciliera aussi avec les devoirs domestiques si la femme n'oublie pas pour l'idéal la vie réelle. Dès l'antiquité grecque, l'art a eu ses ferventes prêtresses. Dans notre pays, comme partout et toujours d'ailleurs, c'est généralement comme inspiratrice que la femme a influé sur les destinées de la peinture, de la sculpture et de l'architecture. Il est juste de rappeler ici que c'est surtout notre art national que les femmes de France ont encouragé. Elles-mêmes ont donné à cet art sinon des pages immortelles, du moins des oeuvres distinguées qui ont mérité l'honneur de figurer au Louvre. J'aime à redire que les femmes qui ont laissé un nom dans la peinture française étaient presque toutes, filles, soeurs, épouses d'artistes: c'est au foyer domestique qu'elles avaient pris leurs leçons. Cette tradition ne s'est pas perdue, et la plus illustre des femmes artistes l'a continuée de nos jours. Si, de l'art nous passons aux lettres, nous exprimerons, ici encore, le voeu que la femme ne s'y livre qu'avec prudence. Je suis loin de méconnaître la part qu'a eue la femme dans la littérature depuis l'antiquité la plus reculée. Des femmes comptent parmi les poètes sacrés dont l'Esprit-Saint a inspiré le génie et dont la Bible nous a conservé les accents. 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